À propos de l’INSTRUMENTATION en France

Résumé

L’exposition des appareils anciens du cabinet de physique du lycée Bertran de Born de Périgueux nous fournit l’occasion de souligner l’importance, dans notre pays, de l’instrumentation scientifique dans la 2ème moitié du 19e siècle et au début du 20e. Quelques éléments d’explication sont proposés. La situation actuelle de l’instrumentation en France est ensuite examinée.

« Physique impériale » et instruments scientifiques.


Le lycée Bertran de Born de Périgueux poursuit la présentation des instruments scientifiques anciens de son cabinet de physique.


Cent vingt-trois appareils, datant pour beaucoup de la 2ème moitié du 19e siècle ou du tout début du 20e illustrent les principales expériences de la physique classique naissante. L’ensemble constitue une magnifique collection qui ne peut qu’exciter la curiosité de tous ceux qui s’intéressent à notre environnement physique mais aussi à l’histoire des sciences et à leur enseignement. A cette occasion, un catalogue a été édité : « Physique impériale » [1], du nom du statut du lycée, alors impérial.


Parmi tous les objets classés par types – selon la typologie proposée par Francis Gires : didactique, utile, utile-mesure, récréatif – on dénombre une trentaine (soit 25 % environ) d’appareils de mesure construits en tant que tels ou d’appareils didactiques ou utiles qui, bien que réalisés pour montrer ou illustrer une loi ou un principe de la physique, peuvent être utilisés pour des mesures.


Toutes les spécialités de la physique sont concernées : pesanteur, hydrostatique, propriétés des gaz, acoustique, chaleur, optique, magnétisme, électrostatique, électricité dynamique, autant de rubriques qui correspondent à l’ancienne classification des phénomènes étudiés.


La présentation dans ce même ouvrage, des constructeurs les plus connus de la période concernée : Jules Carpentier, Chauvin et Arnoux, Eugène Ducretet, Ladislas Adolphe Gaiffe, Albert Marloye, Nicolas Constant Pixii, Heinrich-Daniel Ruhmkorff, Jean Baptiste Soleil, …, montre qu’ils sont tous français ou installés en France.


Ce constat est révélateur du dynamisme qui régnait alors en France dans le domaine de l’instrumentation scientifique. Cette situation tenait évidemment à l’importance et à la qualité de la recherche française.


Les nombreux savants français de l’époque s’appelaient : Emile Alluard, François Arago, Arsène d’Arsonval, Jacques Babinet, Jean-Baptiste Biot, André Blondel, Charles Cagniard-Latour, Aimé Cotton, Marcel Deprez, Léon Foucault, Karl Rodolphe Kœnig, Antoine Masson, Arthur Morin, Claude Pouillet, Henri Regnault, Félix Savart ,… . Beaucoup sont cités encore aujourd’hui dans les manuels de physique à propos des lois, formules ou appareils auxquels ils ont donné leurs noms.


Leurs travaux en physique étaient précédés ou accompagnés de la fabrication de matériels destinés à l’expérimentation et la vérification des résultats.

Des instruments accessibles au plus grand nombre.


Mais on peut aller au-delà en rappelant que nous étions alors dans une période de transition. Grâce au succès de la mécanique newtonienne, les physiciens avaient pris conscience de la puissance de l’outil mathématique, sans aller jusqu’à son utilisation intensive comme ils le feront un peu plus tard avec, par exemple, les mécaniques quantique et relativiste. Les instruments exposés témoignent de la place importante que prenait l’expérimentation. Il s’agissait encore principalement d’une expérimentation suffisamment concrète et immédiate et donc accessible à tous ceux qui s’intéressaient à ce domaine.


En circulant parmi les vitrines, le visiteur retrouvera ou découvrira par exemple :

– un baromètre de Fortin

Il s’agit d’un baromètre à mercure, c’est-à-dire d’un dispositif de Torricelli, adapté aux mesures précises. Il comprend donc essentiellement un tube barométrique en verre, préalablement rempli de mercure et retourné sur une cuvette contenant elle-même du mercure.


Chacun sait – ou devrait savoir ! – que nous vivons dans l’air atmosphérique qui exerce une pression ou encore une certaine force sur chaque unité de surface avec laquelle il est en contact. Sachant que le liquide mercure transmet intégralement la pression atmosphérique qui s’exerce sur sa surface libre, on fera admettre sans peine que le poids de la colonne de mercure et donc sa hauteur permettent la mesure de cette pression.


Quelques astuces techniques très simples, imaginées par Fortin, améliorent la précision des mesures de la hauteur barométrique (au 1/10e de mm) et facilitent le transport.




– un galvanomètre de Nobili


Le dispositif comprend :


Une aiguille aimantée sur pivot et une boussole d’inclinaison également exposées, auront permis au visiteur non averti de prendre conscience, au préalable, de l’action du champ magnétique terrestre sur une aiguille aimantée. Il reconnaîtra donc sans difficulté que l’équipage mobile ABA’B’ n'est pratiquement pas sensible à ce champ (il est dit astatique). Enfin, le rappel de l’expérience d’Œrsted l’amènera à percevoir l’action du cadre multiplicateur sur les aiguilles.


Il en sera ainsi avec le galvanomètre Deprez-d’Arsonval, l’oscillographe double à fil de Peschard et Zurcher … : la fonction de la plupart de ces instruments, leur principe de fonctionnement et leur conception peuvent et pouvaient être au moment de leur création, facilement appréhendés par tout « honnête » homme. Ce qui, aujourd’hui, en dehors de l’attrait indéniable suscité par leur esthétique, contribue certainement à leur succès.


Toujours dans le catalogue de l’exposition [1], Madame Nicole Hulin rappelle que les travaux d’atelier étaient, dans le même temps, une composante de la formation des élèves de l’Ecole normale supérieure : conformément aux instructions, en deuxième année, les manipulations « ont pour objet d’exercer les élèves au travail du verre à la lampe d’émailleur,.. » ; en troisième année elles doivent « apprendre aux élèves les détails de construction des instruments de physique, l’usage des outils qu’on emploie ; elles sont dirigées par un habile constructeur… » Il existait ainsi une véritable culture de la fabrication des appareils scientifiques que les normaliens ne manquaient pas de diffuser.


Cette construction faisait essentiellement appel au travail parfaitement maîtrisé de matériaux tels que le bois, le laiton, le verre, … Beaucoup de ces objets du reste, véritables pièces de musée que l’on admire et protège, relèvent davantage de l’artisanat d’art que de la technologie scientifique. D’une manière générale, les techniques de leur fabrication étaient à la portée de nombreux techniciens ou même de « bons » bricoleurs avertis, habiles, passionnés et bien renseignés.


On comprend donc pourquoi de nombreux artisans, industriels, chefs d’entreprises, ayant ainsi accès à un domaine essentiel au développement des recherches et de l’enseignement scientifique ont, par leur nombre et leur savoir faire, placé la France pendant plus d’un demi siècle parmi les tout premiers.

La situation actuelle


Qu’en est-il aujourd’hui dans notre pays ? Au cours des dernières décennies, alors que l’instrumentation, comprise au sens large du terme – de la balance de ménage au robot du laboratoire d’analyses médicales ou encore au scanner des hôpitaux – connaissait un développement considérable, la position de la France enregistrait un long mais constant recul. Comment en sommes nous arrivés là ?


À l’évidence, les progrès scientifiques et technologiques ont entraîné un bouleversement des conditions préalables au lancement des fabrications. La complexité croissante des instruments s’est en effet traduite par la nécessité de constituer des équipes de chercheurs, ingénieurs et techniciens pluridisciplinaires et de s’engager dans des investissements très lourds. C'est ce que pourtant la France a su faire par ailleurs dans de nombreux domaines : nucléaire, aéronautique, espace, télécommunications, …Les raisons sont donc à chercher ailleurs.


Une étude datant d’une douzaine d’années [2], fait le point sur la situation contemporaine et analyse les raisons du déclin de l’instrumentation française.


Son constat s’appuie sur l’érosion du chiffre d’affaires et des effectifs des salariés de cette branche industrielle, et surtout la disparition de la plupart des entreprises françaises (à l’exception notable de Chauvin et Arnoux, un des premiers dans le domaine des mesures électriques).


Les causes de cette situation ne sont certainement pas d’ordre culturel dans un pays dont l’inventivité est reconnue ; ce n’est pas non plus la compétence scientifique qui fait défaut puisque de nombreux laboratoires français participent à la réalisation de matériels d’une très haute intelligence ; le pays n’est pas trop petit puisque le Danemark et Israël sont des spécialistes reconnus dans des domaines précis et enfin notre système de formation ne peut pas être soupçonné de défaillance puisque les enseignements sont nombreux à tous les niveaux.


« Finalement, l’état navrant des choses semble résulter des jeux d’une économie sans grande hauteur de vue, oublieuse de la dimension stratégique du sujet et de son importance culturelle et guidée principalement, au cours des dernières décennies, par des critères de rentabilité. »

Pour un renouveau


L’auteur plaide évidemment pour un renouveau qui doit passer notamment par le classement de l’instrumentation au rang de priorité industrielle nationale, par exemple dans le cadre d’un programme pluriannuel de durée significative et le rapprochement des laboratoires, des industriels et des utilisateurs.


Les professeurs de physique et de chimie ont certainement un rôle à jouer dans cette démarche. Les occasions sont nombreuses pour une sensibilisation, d’abord de leurs élèves qui seront très vite des décideurs, mais également des responsables des établissements industriels et scientifiques qu’ils sont amenés à rencontrer.

Bibliographie


[1] « Physique impériale », catalogue réalisé sous la direction de Francis Gires et édité par l’A.S.E.I.S.T.E. (Association de Sauvegarde et d’Etude des Instruments Scientifiques et Techniques de l’Enseignement)

[2] Revue nationale de l’A.M.O.P.A. (Association des Membres de l’Ordre des Palmes Académiques), numéro 160 d’avril 2003.


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